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Originalité : une expérience originale


L'occasion m'a été donnée de faire partie du jury d'examen des BTM photos. Le BTM, brevet technique des métiers, est un diplôme de niveau bac délivré par les chambres de métiers.  Parmi les épreuves : le reportage sur un thème imposé. Cette année, les candidats avaient un mois pour produire entre quinze et trente images sur le thème de l'uniforme. Nous avons été quatre, pendant deux jours, à examiner et à noter plus de 80 dossiers provenant de toute la France.

Pendant ces deux jours, je n'ai pas cessé de me poser deux questions qui agitent le landernau judiciaire, le plus souvent, hélas, à nos dépens :
- Ces photos font-elles preuve d'originalité ?
- Portent-elles l'empreinte de la personnalité de leurs auteurs ?

Pour la première question, aurions-nous mis dix juges, cent juges pour départager les dossiers en deux piles, l'une pour les photos "originales" et l'autre pour les photos "non originales", nous aurions obtenu dix fois, cent fois deux piles différentes.

Pour nous-mêmes, autant nous disposions des repères pour mettre des notes au-dessus ou au-dessous de la moyenne, autant il nous aurait été impossible d'établir deux piles distinguant les dossiers "originaux" des autres.

C'est d'autant plus remarquable que nous établissions notre notation en tenant compte de l'originalité des dossiers. Mais lorsqu'on pratique l’exercice délicat de la correction d'épreuve en photographie, un évidence s'impose : la notion d'originalité n'a de sens que considérée parmi l'ensemble des notions qui permettent de caractériser une image. Pour dire les choses de façon schématique : une photo peut être géniale et "banale" ; une photo peut être très "originale" et complètement ratée.

Quant à l'empreinte de la personnalité, il apparait de façon encore plus évidente qu’il ne peut y avoir qu’une seule pile : la première chose qui saute aux yeux en découvrant les photos, c'est la patte du photographe. Patte déjà affirmée ou patte maladroite d’un photographe en herbe qui ne se trouve  pas ; patte bucheuse ou patte paresseuse. La palette est aussi infinie que celle des couleurs en 48 bits. Toutes ces photos, sans exception, avaient leurs "couleurs", même les images en noir & blanc.


Mais, surtout, qu’avions-nous à juger ? Certainement pas cette personnalité. Chercher l'empreinte de la personnalité revient à questionner l'auteur plutôt que son oeuvre, cela  revient à estimer la créativité non pas dans ce que l'oeuvre laisse découvrir mais au travers une spéculation sur l'expression créatrice de son auteur.

Le dérapage devient manifeste : on ne juge plus l'oeuvre mais l'auteur. 
Untel n’a pas une âme d’auteur - ou sa reconnaisance sociale -, il ne peut donc pas produire une œuvre de l’esprit ! Nous sommes à deux doigts de pratiques inquisitoriales.

A  la limite, il y a violation de la vie privée.  Au nom de quoi un auteur devrait-il fournir des signes lisibles de sa personnalité dans sa production ? L’auteur ou l’artiste livre sa création au public. Rien ne l’oblige à se livrer lui-même. L’histoire de l’art fourmille d’exemples d’artistes qui se sont ingéniés à brouiller les pistes pouvant mener à leur intimité créatrice. Combien de mécréants ont-ils produits des  joyaux, parmi les plus beaux de la culture religieuse ?

Une dernière remarque, pour conclure. Ce brevet est destiné, en principe, aux futurs artisans photographes. Il est clair, au vu des images présentées par les candidats que la photographie ne  peut pas se ranger dans les tiroirs des catégories professionnelles. Toutes ne présentent pas les mêmes qualités, ne témoignent pas d’un même talent. Mais, à l’exception des épreuves purement techniques, toutes présentent une singularité propre. A ce titre, ces images doivent bénéficier de la protection du droit d’auteur. C’est le signe distinctif d’un pays cultivé, le simple respect de l’être humain créateur, que sa création soit modeste ou flamboyante.

Juillet 2013