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Photographier à l'insu des gens (suite)

Pour le photographe, en premier lieu, il est important de savoir où nous en sommes du point de vue du droit, sachant que la décennie 2000 a été marquée par des dérapages qui ont conduit insidieusement à une mise en cause du droit à l’information au nom du droit à l’image. Le législateur ne s’est toujours pas emparé de la question et peut-être est-ce bien ainsi. Le socle légal du problème repose sur l’article du code civil qui énonce que chacun à droit au respect de sa vie privée. La jurisprudence, en revanche, a évolué. Depuis 2007, on peut dire qu’elle est constante. Elle met en balance le droit à l’information et le droit à l’image et définit la ligne jaune à ne pas dépasser : le préjudice réel et établi que la publication d’une photo peut faire subir à quelqu’un. Le juge ne suit pas l’avis de ceux qui, pour des raisons philosophiques ou autres, estiment que la photographie non consentie serait par nature attentatoire à la vie privée.

Cette jurisprudence me paraît équilibrée. Elle préserve l’essentiel : la droit à l’information dans le respect de la dignité des personnes. On pourrait s’en tenir là. Mais il me semble utile de poursuivre la réflexion dans deux directions :
- La dialectique de l’image immanente et de l’image constituée dans le « droit à l’image »
- La dialectique de la vie privée dans l’espace public

Le dictionnaire définit l’image comme étant la représentation d’une chose ou d’un être au moyen des beaux arts : peinture, dessin,  photographie, etc., mais aussi la réflexion d’une chose ou d’une personne dans un miroir, d’où vient l’expression : donner une image de soi. Dans cette cette seconde acception du terme, il s’agit d’une image immanente, immatérielle, qui n’a pas d’existence propre. Cette image disparaît après la mort, par exemple. A l’inverse l’image constituée à une existence matérielle propre, indépendante de ce qu’elle représente. Schématiquement, on peut dire que la forme immatérielle de l’image appartient à la chose ou la personne qu’elle représente tandis que l’image matérielle appartient à son auteur. On voit dès lors qu’il est impossible de légiférer sur le droit à l’image en tant que tel, à moins de ne s’en tenir qu’à un aspect des choses, ce qui serait réducteur, on en conviendra. Dès lors, il ne peut y avoir un « droit à l’image » comme il existe un droit d’auteur. Quand il est  saisi, le juge n’a pas tort de se préoccuper des conséquences de l’image et non pas de l’image en soi.

Est-on dans la vie privée lorsqu’on est dans l’espace public ? Si on ne peut contester que chacun a droit au respect de sa vie privée aussi bien chez lui que dans la rue – personne n’a le droit de clamer sur les toits avec qui couche le premier quidam venu – on ne peut non plus contester que l’image que l’on donne de soi ne répond pas aux mêmes critères à son domicile ou dans un lieu public. L’exemple trivial qui vient  à l’esprit est celui de la nudité. De  fait, l’image que l’on donne de soi dans l’espace public est publique et répond à des critères de vie en société qui s’imposent à tous. De ce point de vue, la photographie ne pénètre pas dans l’intimité privée de la personne, mais révèle son image publique, dès lors qu’elle en a la maîtrise.

Pour finir, je pense qu’il pourrait être fécond d’introduire dans notre code civil le concept de vie civile pour caractériser ce qui n’est ni la vie privée dans les lieux privés ni la vie publique des personnes qui volontairement, pour des raisons politiques, syndicales, religieuses ou autres s’affichent dans l’espace public.


Septembre 2011