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Quelques réflexions en forme de pavé dans la marre

Ce texte a été écrit pour l'Union des photographes créateurs. Il reprend dans une large mesure mes textes précédents sur le droit à l'image et sur le droit d'auteur. Le service juridique de l'UPC estime qu'il comprend certaines incohérences. Il serait bon de dire lesquelles afin de faire avancer la réflexion.


J’admets volontiers que ce texte peut avoir des aspects provocateurs. Je l’assume. La provocation peut s’avérer un bon stimulant pour les neurones. J’espère surtout que l’on n’y verra pas une quelconque volonté de mettre bas ce qu’il a été si difficile de construire ces dernières années.

Lorsque j’ai suivi les cours du soir à l’école de Vaugirard, pour préparer un CAP de photographie, à la fin des années 1960, nos profs nous enseignaient que le 24X36 n’était pas un format professionnel. Sous entendu, les photoreporters ne sont pas de photographes mais, à la rigueur, des journalistes utilisant la photographie. Ces profs, aujourd’hui à la retraite, mesurent peut-être, maintenant, l’apport du photo journalisme à la création artistique photographique contemporaine.

La crise actuelle de la photographie découle moins à mon sens de l’émergence des technologies numériques que d’un positionnement à la fois rigide et flou des métiers de la photographie. Rigide : au nom de certitudes dont il faudrait bien débattre, combien de confrères ont basculé vers le numérique à reculons, parfois la honte au ventre ? Flou : combien de diffuseurs estiment que la photographie est fille de l’air du temps plus que de pratiques professionnelles bien établies ?

Je pense qu’il faut élaborer, avec les pouvoirs publics, un statut professionnel de photographe de prise de vues. Cela suppose, notamment, l’existence d’un cursus de formation, validé par un diplôme qui mentionne, éventuellement une spécialisation, diplôme que les photographes déjà en exercice pourraient obtenir sur dossier. Cela suppose la reconnaissance du statut d’auteur à ces photographes, conformément au code de la propriété intellectuelle. Cela suppose, enfin, de distinguer nettement dans la rémunération ce qui découle du travail et ce qui relève du droit d’auteur proprement dit. J’ai bien conscience que c’est là que le bas blesse.


Droit d’auteur

La notion de droit d’auteur est née à la fin du XVIIIème siècle. En France, Beaumarchais a créé la première société d’auteur du monde, qui est devenue la SACD et qui a fait des émules, notamment la célèbre SACEM. La définition du droit d’auteur n’a pas variée depuis ses origines. Le droit d’auteur rémunère le succès d’une oeuvre. Il ne rémunère pas le travail du créateur.

Depuis la loi de 1957, améliorée par la loi de 1985, la photographie a rejoint la grande famille des oeuvres de l’esprit, protégées par le droit d’auteur. Les photographes sont donc des auteurs. N’oublions pas, en passant, que les photographes salariés le sont aussi, tout comme les écrivains salariés par leur maison d’édition. Les photographes qui exercent leur activité professionnelle de façon indépendante, sont fiscalement soumis à la déclaration de bénéfices non commerciaux et ils paient leurs cotisations sociales à l’AGESSA.

Le problème, c’est qu’un photographe indépendant fait une même note de cession de droits selon qu’il a exécuté une commande et calculé son montant en fonction du temps passé ou selon qu’il vend, directement ou par agence, les droits de reproduction d’une photo en archives. Dans le premier cas, il demande la rémunération de son travail, dans le second, la rétribution du succès que rencontre ses images. Il faut bien reconnaître que cette dualité perturbe le calcul des cotisations sociales qui reposent encore, en France, largement sur le travail, notamment pour les retraites. Et plus encore, cette dualité perturbe le client/diffuseur, lequel se demande s’il doit payer, en plus du lard, le cochon.

A mon sens, il faut, premièrement, préserver le statut d’auteur du photographe et donc ne pas remettre en cause, pour les indépendants, les avantages sociaux liés au rattachement à l’AGESSA (mais certainement les simplifier et les étendre, la question des accidents du travail a été évoquée au congrès). Ensuite, il faut clairement que le photographe facture une prestation d’auteur qui donne droit à celui qui la paye d’utiliser les images sans restriction mais sans rétrocession possible.

Enfin, quand il y diffusion des images au-delà du cadre contractuel au sein duquel elles ont été, éventuellement, réalisées, je crois qu’il faut aller vers une gestion des droits d’auteur par une société d’auteur, dans la lignée de ce que fait la SACEM pour les musiques et les chansons. Pour les photographes, c’est naturellement la SAIF qui devrait s’en charger.

J’entends bien les objections, la première d’entre elles étant l’infaisabilité. En 1847, quand Ernest Bourget refusa de payer ses consommations aux Ambassadeurs, au prétexte que les patrons du café-concert ne lui versait rien sur les chansons que le public pouvait applaudir et dont il était l’auteur, qui pouvait imaginer que l’incident et le procès qui s’ensuivit allait donner naissance à la toute puissante SACEM ?

A mon tour d’objecter les objections. Avec les technologies modernes, il est aisé de déposer ses photos à la société d’auteur. S’ils n’existent pas déjà, des logiciels de reconnaissance automatique des images permettront de sonder la toile et d’interpeller les diffuseurs. On peut imaginer à terme que le dépôt légal des imprimés s’accompagne d’une copie numérique permettant un examen électronique rapide. Il faut certes concevoir la montée en puissance de la société d’auteur à la fois avec le soutien résolu des pouvoirs publics et dans le cadre de coopérations internationales. Pour une fois, l’Europe pourrait servir à quelque chose d’utile ! Et n’oublions pas que nous avons désormais deux académiciens ! Gare, sinon, à l’arrivée de sociétés privées, telles Google, qui proposeront leurs services au prix fort pour surveiller la toile. Car il ne faut pas s’y tromper : la chaîne de l’image est bien trop lucrative pour laisser longtemps en paix les diffuseurs parasites à 15 centimes d’euros l’image !


Droit à l’image

Quelques pistes de réflexion, pour finir, sur le droit à l’image. Concernant le respect des personnes, le droit français, code civil et code pénal, invoquent la protection de la vie privée. Les débats sur le droit à l’image opposent le plus souvent vie privée et vie publique pour distinguer le quidam de la personnalité qui s’affiche délibérément dans l’espace public pour des raisons artistiques, politiques ou autres. Il me semble qu’il faut introduire une notion importante entre ces deux : celle de vie civile. L’espace public ne serait être privatisé au nom de la vie privée. Lorsqu’on se trouve dans l’espace public, on est de fait dans la vie civile, laquelle répond à un certain nombre de règles.

Si je vous photographie en train de faire des galipettes amoureuses chez vous, je porte atteinte à votre vie privée. Mais si vous faîtes ces diableries dans la rue, c’est vous qui êtes en faute. Dès lors que nous sommes censés donner une image de nous-mêmes digne, dans l’espace public, j’en déduis que, sauf si une personne se trouve sous la contrainte ou dans la perte accidentelle du contrôle de soi, elle ne peut en aucun cas accuser la photographie de lui porter tort. Il faut en finir avec cette épée de Damoclès qui soupçonne en permanence la photographie de porter préjudice là où elle ne fait qu’apporter témoignage. Je pense que cette règle vaut pour les espaces privés ouverts au public, mais c’est sans doute juridiquement plus difficile à défendre.

Enfin, concernant l’éventuelle rémunération qu’une personne pourrait demander au titre de sa figuration sur une image ou de la figuration de l’une de ses oeuvres, il faut revenir à une donnée simple : il n’existe pas d’image qui n’ait été faîte. Le droit de celui qui crée l’image – droit d’auteur – est donc premier sur le droit de celui qui y figure – droit à l’image. En terme de rémunération cela signifie, à mon sens, que le droit à l’image ne peut, de toute façon, pas excéder le droit d’auteur, ce qui ramène le problème à des proportions plus raisonnables et range au placard certains fantasmes.

Quant au fond, cela ne me choque pas qu’une personne qui met consciemment au service de l’image son savoir faire, son talent et son temps soit associée à son succès éventuel. Pour le reste, il me semble que cela relève d’une perversion de l’esprit mercantile, notamment en ce qui concerne les divers concepteurs de l’espace public, payés précisément pour mettre leurs créations au service du public parmi lequel se trouvent ceux qui utilisent, en amateur ou en professionnel, des appareils photos. Là aussi, reconnaître un droit à l’image reviendrait à reconnaître un droit privé sur un espace public, ce qui équivaudrait à une sorte de privatisation rampante.

Avril 2009